Au sein d’un festival, d’un lieu de spectacle vivant, de centres culturels, le/ la directeur·rice de festival décide de la saison artistique, de la programmation, des choix culturels et développe des réseaux en vue de pérenniser un projet artistique. Iel gère et assure les contrôles administratifs, budgétaires et juridiques des projets culturels. Sa mission principale est d’assurer l’équilibre financier du festival. Le/la directeur·rice de festival supervise et contrôle la mise en œuvre technique du festival, en plus d’avoir un rôle de représentation générale durant toute la durée du festival.
Lucie Taurines a 47 ans. Après un IUT en technique de commercialisation puis des études à Sciences Po Aix, elle multiplie les expériences professionnelles jusqu’à atteindre le poste de directrice à la Fiesta des Suds, où elle va y travailler pendant 22 ans. Aujourd’hui, elle est directrice chez Cinémas du Sud & Tilt, et nous parle du métier exigeant qu’est un poste de direction comme le sien. Entre humanité et gestion des imprévus, les participantes du jour ont beaucoup à apprendre de l’expérience de Lucie.
Pour Lucie Taurines, le plus important lorsque l’on organise un évènement est de trouver un lieu adéquat. Ensuite, il faut penser son projet, l’écrire, réussir à monter une histoire pour composer un dossier. Enfin, il est crucial de créer une association en faisant attention aux personnes que l’on y implique, mais aussi de veiller au bon respect de son objet, sans oublier de travailler le budget et de chercher des financements.
B. est algérienne. Elle est attachée d’administration pour un réseau de musique nommé Medinea, porté par le festival d’Aix. Elle a fait un master recherche et culture. Elle est ici, car elle aimerait réseauter, mais pas que. Côté pro, cette journée lui permettrait de mieux connaître les métiers de la musique pour pouvoir faire de la coordination de projets à l’avenir. Ce qui est essentiel, pour elle, c’est de savoir coordonner les personnes avec leurs compétences, faire en sorte que cela fonctionne. Elle a déjà encadré des enfants, ce qui lui a donné des notions pour gérer correctement un groupe. En tant que femme, elle a travaillé dans la vente pour en arriver là et confesse que c’était compliqué, car elle travaillait dans les milieux de la nuit. Elle a également ressenti une sensation de décalage au vu de ses origines.
M. est étudiante. Au Chili, elle faisait de la musique. Elle est là pour connaître aussi les métiers de la production ou de la direction. C’est important pour elle de savoir comment ça se passe ici, puisque c’est différent du Chili. Elle travaille pour un festival d’échanges culturels, qui est une structure itinérante.
S. est là parce qu'elle a un peu d’expérience en tant que bénévole dans plusieurs festivals. Elle recommence à travailler après avoir fondé des associations, et a peut-être envie d’aller dans le secteur musical plus sérieusement. Elle est là pour apprendre les métiers qui l'intéressent et pour rencontrer des gens expérimentés dans la musique. Elle a été bénévole à Arras en 2009, à Marsatac aussi, à Cosmo Jazz, à Rock en Seine sur plusieurs missions comme accueil du public, technique, gestion écologique et VIP. Dans les deux associations qu’elle a développées autour du vélo, elle s'est penchée sur les questions féministes, et c’est dans ce cadre-là qu’elle a créé un festival à Paris où elle a réalisé des ateliers autour du recyclage, du vélo et du féminisme. Elle était à ce moment-là dans la co-direction. De ses expériences en tant que femme, elle retire notamment que le bénévolat dans la technique est une mission avec beaucoup d’hommes. Dans la mécanique aussi, le vélo est perçu comme une discipline d’homme. Dans un contexte aussi masculin, S. dit avoir manqué de crédibilité. Maintenant, grâce à son association, elle est identifiée donc ça va mieux, et puis elle n’est pas seule, l’association de vélo est en groupe.
F. est en reconversion. Elle est ingénieure dans le numérique, ce qui est un milieu très masculin. Elle a été embauchée à Lyon dans le cadre de la mixité, “journée de la femme”. Elle a organisé un gala en école et ça lui a plu. Coordonner les bénévoles, la logistique, la location de la salle, le bar, faire la communication sont tout autant de missions qui l’animent. Elle le faisait pendant son temps libre, de manière bénévole. Elle est en formation de médiation culturelle cette année, financée par la région (3 mois). Depuis un an à Marseille, elle s’est investie dans plusieurs structures comme la Friche, le Delta, Utopia… Elle est également partie un an en Australie. Elle continue à essayer de se former, à rencontrer du monde pour concrétiser cette reconversion.
F. est fonctionnaire et aimerait se reconvertir. Elle a dirigé des séjours à l’étranger et elle est devenue fonctionnaire par dépit. Elle adore le monde du spectacle, qu’elle trouve riche en rencontres, mais apprécie aussi de voir ce qu’il se passe derrière le rideau. Elle parle d’effervescence stimulante. Il est compliqué de faire son travail et une formation à côté, mais F. aimerait avoir des idées sur comment initier sa reconversion ; elle envisage aussi de se nourrir du bénévolat si ça ne marche pas. Quand elle était institutrice, elle a mis en scène des spectacles.
C. a 20 ans. Cela fait un mois qu’elle a commencé une licence dans l’événementiel. Elle a participé à 4 événements en tant que bénévole dont le Delta et le Défi Monte-Cristo. Elle y a été sur le montage par exemple. Elle cherche un stage de 6 mois, et aimerait en apprendre un peu plus sur le poste de direction. Quant à sa place en en tant que femme, il n’y a que des filles dans sa classe. Par contre, sur les événements, elle constate il n’y a que des hommes : donc c’était parfois compliqué surtout sur le montage des événements auxquels elle a participé. Parfois les hommes la pensaient incapable, ou se moquaient de ses capacités à porter des charges.
V. a 20 ans et a le même parcours que Colombine. Leur établissement, situé dans le 7ᵉ arrondissement de Marseille, propose cette licence événementielle. Elle aime la musique, car elle a pu participer à des événements et ce qu’elle a pu ressentir en tant que cliente, à savoir cette union, cette diversité, l’anime complètement. Elle a envie de créer son propre événement à elle. Elle a pu apprendre beaucoup de choses grâce au bénévolat, comme certaines notions en communication, en production… Elle a remarqué que la passion animait les directeur·rice·s de festivals, et qu’iels parvenaient à passer outre la gestion difficile du temps, le stress, ou encore la gestion des imprévus, comme lors des problèmes de logistique sur le Delta par exemple. Pour ce qui est de sa place en tant que femme, elle constate qu’il y a beaucoup d’hommes dans la production. Sur le Delta, il n’y a pas que de la musique, ce festival met aussi en avant des projets, ceux des étudiant·e·s… La programmation l’intéresse autant que la direction. Offrir, laisser une trace, c’est ce qu’elle veut. Elle cherche son stage peut-être au Delta, en tout cas elle souhaite rester sur Marseille, car il y a beaucoup de diversité culturelle.
L. est bénévole depuis qu’elle a 15 ans, et en a aujourd’hui 28. Elle est vidéaste de base, mais s’intéresse aussi à la production. Plus elle avançait, plus elle se rendait compte que les métiers de la coordination culturelle lui plaisaient. Elle participe aujourd’hui car elle aimerait bien un jour arriver à créer une structure sur Marseille pour produire des artistes de cinéma et de musique dans un lieu hybride. Découvrir la production musicale, diriger un événement : elle le voit comme un puzzle. On a une programmation et un résultat en tête et l’enjeu, c’est de coordonner les équipes. Elle a été assistante de production dans le milieu culturel. Du fait d’avoir des ami.e.s qui font du cinéma, elle les a cadré·e·s, c’était naturel chez elle. Elle pensait qu’elle n’était pas compétente en tant que femme, et quand elle a eu des postes à responsabilités, elle s’est rendu compte que ce n’était pas elle le problème. Elle adore poser le cadre. Elle a eu des patron·ne·s sympas qui avaient du mal à le poser, justement. Elle pense que sa principale compétence est de bien coordonner.
S. a 32 ans. Elle a commencé à travailler dans la culture pendant son BTS tourisme. Elle a monté des scènes en tongs, fait de la communication, a géré des sites internet, et par la suite a été bénévole à Marsatac depuis 2012. Et depuis 2019, elle fait de la régie plateau. S. dit avoir vu comment marchait un festival, elle y a observé l’enjeu. Avec des copain·ine·s, elle a monté une asso qui s’appelait Transition. Après, elle a travaillé avec Médecins Sans Frontières et a été surveillante au collège. Puis elle a été bénévole au Paléo, en technique et en montage / démontage, sur l’exploitation. Elle s’est retrouvée à faire des dépannages en électricité. Aujourd’hui elle fait de la production pour les profs, elle prépare leur planning. Mais elle a envie de travailler dans la musique, mais davantage côté technique. Tirer du câble, la régie, ça lui plaît !
M. est brésilienne et elle a suivi une formation à Sciences Po. Elle était spécialisée en management des associations pour une ONG. Elle gérait des projets de construction d’écoles, mais elle avait aussi d’autres missions, comme établir l’électricité dans les hôpitaux en Afrique ou en Asie. En bref, elle a voyagé. Dans la vie de tous les jours, elle était entre la France et le Congo, elle faisait beaucoup de tableaux Excel. Puis, elle a tout quitté pour venir à Marseille et a ouvert avec son mari un lieu de fête qui s’appelle le Chapiteau. Iels ont tout appris sur le tas, ce qui était très épuisant, jusqu’au moment où iels ont pu monter une équipe. Aujourd’hui, iels ont 23 salarié·e·s, et iels aimeraient embaucher plus de CDI, qui se limitent à 4 pour l’instant. Elle a également à cœur de lutter contre les violences sexistes et sexuelles. C’est dans ce cadre qu’elle a écrit une charte, ça fait partie de cette réflexion d’être là. Elle est plus sensibilisée à ça, mais pour l’équipe sécurité avec qui elle travaille, c’est plus difficile par exemple. Son rôle en tant que structure, c’est de protéger la victime et c’était un travail à faire auprès d’eux. Elle a eu deux agents qui étaient là tous les jours, et qu’elle a bien formés.
M. a 32 ans et est italienne. Elle organisait des concerts en Italie. Là-bas, ce n’est pas trop carré au niveau administratif, il y a beaucoup de paiements au black. Avec la Covid, tout a fermé, et c’est pourquoi elle est revenue à Marseille. Aujourd’hui elle travaille avec les enfants et est nounou à temps plein. Elle voudrait continuer à faire le travail qu’elle faisait en Italie, mais en France elle ne connaît pas les modalités. Elle aime la programmation de concerts.
A suivi un temps fort d’échanges autour des questions relatives aux métiers de la programmation et du booking, ainsi que sur le statut de la femme dans la musique ou secteur culturel. Voici quelques observations :
L’après-midi, des ateliers ludiques et participatifs ont permis aux participant·e·s d’échanger de manière plus informelle autour de ces questions, et de partager des expériences personnelles plus intimistes. Afin de déconstruire les stéréotypes de genre parfois intériorisés par les victimes de ces oppressions sexistes, les outils issus de l’éducation populaire permettent de mettre des mots sur les situations de violence, et de s’inspirer de son propre vécu pour s’engager dans la lutte pour l’égalité.
Quelques exemples de témoignage :
« Je n’aime pas être une femme lorsque mes homologues masculins m’infantilisent sur des tâches ou des sujets que je maîtrise mieux qu’eux. »
« J’ai eu l’occasion de travailler dans des milieux essentiellement masculins (les marchés forains), ou bien le montage d’événements. Être une femme a été compliqué, je me sentais très souvent infantilisée et même inférieure aux autres, car j’étais considérée comme incapable de porter des poids lourds et de construire des choses. De plus, je me suis souvent senti en insécurité à cause de regards insistants et de remarques déplacées, présentées comme de l’humour à mon égard. Ça a entraîné un manque de confiance en moi. »
« J’étais en réunion avec deux collègues hommes plus âgés (50 - 60 ans). L’un d’eux voulait me refiler le travail que lui était censé faire pour faire avancer un projet. Je lui ai fermement expliqué que non, que c’était à lui de le faire. Après coup, l’autre collègue, qui lui-même est grande gueule, m’a dit que j’avais été agressive et qu’une fille est censée amener les choses plus en douceur. Je ne suis même pas censée l’ouvrir. »
« Je n’ai pas aimé être perçue comme une fille quand pour mon entretien d’embauche post-diplôme, le directeur de l’entreprise m’a fait lire à voix haute un texte sur une jeune femme qui pensait à ses sous-vêtements pendant son entretien d’embauche, sous prétexte de vérifier mon niveau en anglais. Un homme a été embauché, je me suis demandé ce qu’il avait eu à lire, lui. »
« J’ai subi une agression verbale dans les transports en commun par un garçon plus jeune que moi. Cela ne m’a pas traumatisée, mais je me suis dit que si je n’avais pas été une femme, il ne m’aurait pas agressée verbalement. De plus, je n’ai reçu de l’aide d’aucun·e individu·e présent·e dans le bus, sauf celle de mon copain. »
Le dernier atelier est un temps dédié à l’élaboration d’une charte pour l’égalité des genres dans les métiers des musiques actuelles.
Les points évoqués lors des précédentes journées commencent à être rassemblés et reréfléchis à travers le prisme de plusieurs grands thèmes :
Les idées du jour:
La société manque d’éducation. Il faut en parler pour déconstruire le sexisme ordinaire, se corriger dès l’enfance plutôt que de rester dans des situations de tension. Donc, il y a un vrai enjeu d’éducation dès l’école, par exemple en gommant le rose pour les filles et le bleu pour les garçons. Le but serait de casser les rôles et les représentations avec de la prévention.
Installer des distributeurs de tampons et de serviettes hygiéniques gratuits dans les structures.
Imposer un système de récupération d’heures quand tu travailles le week-end ou le soir : « je suis une femme, je ne suis pas un robot. »
Former une équipe sur les questions de sexisme et de harcèlement, ça revient souvent. Avoir des brigades dans les milieux culturels sur toutes les problématiques pour virer les gens qui sont sexistes, tout comme avec la violence.
Installer une sensibilisation automatique au sexisme pour les nouvelles personnes embauchées dans une structure.
Instaurer un moment dans une vie où l’étape de sensibilisation est obligatoire et normale, comme le passage du BAC.
Mettre en place une initiative comme dans d’autres pays francophones européens qui consiste à faire des expériences sociales pour sensibiliser. Par exemple, une femme policière en civil qui se balade dans la rue et attend qu’on la siffle pour mettre finalement une amende à l’auteur. Ce serait bien de passer par ces actions.
Dans le milieu culturel, mettre en place des espaces safe, ou des dispositifs comme des protège-gobelets. Même si finalement, on écarte le problème finalement en trouvant des solutions comme celles-ci : le protège-gobelet, c’est bien, mais on ne trouve pas une solution contre les usages abusifs de la drogue du violeur.
Mettre en place des médiateur·rice·s dans chaque structure pour faire le bilan de quand les gens n’en peuvent plus.
Envisager plus de considération pour le bien-être des employé·e·s.
Mettre une présence de crèches dans chaque endroit culturel, un système de garderie sur les lieux, dans les salles, pour les employé·e·s et les festivalier·e·s.
Diminuer le nombre d’heures nécessaires pour avoir son statut d’intermittent·e.